La commune de Beauvoisin et sa guinguette accueillait ce 16 août le trio drômois, Chacun son sud, que j’avais découvert l’année dernière et pour lequel j’avais écrit une chronique pour leur album en tout point réussi, Dépaysements (voir ici).

Ecrire une chronique, ce n’est pas forcément faire la lumière sur la genèse d’un album avec tous les moindres détails qui ont fait vivre les compositions. C’est aussi de l’ordre du ressenti, et d’hypothèses qu’on formule à l’écoute. Sentir des origines, proposer des associations, laisser parler son imaginaire.

Olivier Large, le trompettiste, qui signe la plupart des compositions, a pris le temps de recontextualiser chaque morceau. Aussi j’en profite pour donner ici quelques précisions supplémentaires. Mais je ne peux m’empêcher une nouvelle fois de m’évader. Cela fait cet effet quand la musique est propice aux voyages.

Chacun son sud vient dire que chacun choisit son Eldorado. Un lyonnais sa Drôme, un chilien son nord. C’est un peu la biguine des lavandières de Caratini. Une invitation à ouvrir toutes grandes les portes vers l’altérité. Se retrouver, comme dans le final de Eldorado, de Laurent Gaudé. Bel arrangement.

Varsovie est une attirance pour un groupe punk polonais. Le morceau est grave, la mélodie hospitalière. La trompette se bouche sur ce morceau folk. Vive le punk.

Diphonie fait partie d’un triptyque, focus sur l’Asie. Les harmoniques enflent au creux de l’archet du contrebassiste Anthony Gutierrez et du sifflement dans la trompette. Richard Posselt l’accordéoniste pose tranquillement les accords. Olivier Large rehausse par un nouveau thème. La chamelle ne veut pas allaiter son bébé. Allons vite chercher un musicien pour lui tirer des larmes et l’inviter à se rapprocher de son petit. (cf. l’histoire du chameau qui pleure)

Jobimania ou l’hommage à la tradition brésilienne. J’entends plutôt sous les doigts de l’accordéoniste le bop français, la musette enjazzée, et ce que Gus Viseur ou Galliano ont fait de cet héritage brésilien. C’est beau, ça coule, avec ce contrechant poétique de la trompette. Un thème parfaitement nostalgique.

Pizzica est inspiré des traditionnels italiens, de la tarentelle. C’est une musique cathartique. Spirituelle tarentule. Venin bénéfique. Propice à danser. Cela me rappelle Mazalda et ses airs de Sicile. Il y a un jeu en réponse entre la contrebasse et les deux autres. Comme un tremplin, pour une transe, sans fin.

Ralentir est un voyage dans le temps présent. Un rythme rapide se cogne à l’ostinato de la contrebasse. L’accordéon prend alors son temps.  Et s’étire. Comme une envie de descendre d’un train à trop grande vitesse.

Cher Piton est une mémoire de la Réunion. En haut du piton des neiges, deux heures de soleil levant. Morceau multi tonal. Eh, pas étonnant, Réunion l’est là, le cœur du monde. En pentatoniques majeurs ou mineurs. Palpitations Maloya. Lacaille, Ziskakan, Waro, paroles traversantes.

Utopie, ou Ethiopie. La polyrythmie. J’entends aussi Herbie Hancock, rapport à son traitement du blues. Beaux décalages rythmiques. Pour un hymne de résistance. Les cigales font les tambours.

Kazak commence comme un voyage au cœur des troubadours et se poursuit en accélération, infinie. Où es-tu, cirque Romanès ? et toi, Plume ? Valse flonflon, slave, rocambolesque, où se croisent l’imaginaire de Kusturica et celui des films italiens comme “Affreux, sales et méchants”.

Regarde est issu d’un projet qui réunissait une fanfare jazz et une chorale. Approcher les couleurs dans la musique. Ça commence comme Summertime, sorte de morceau lent, en mineur, puis ça court. Ça se finit par une longue suite. Il y a de beaux silences. C’est si rare dans la musique. La trompette bouchée apporte un grain un peu burlesque. Ça me rappelle une nouvelle fois Adorno quand il parle de l’esthétique du jazz, sans s’y connaitre véritablement.

Chez Peter Pan est un voyage intérieur. Porté par une sanza (ou piano à pouces). A l’intérieur vivent les décors des voyages imaginaires. Trois belles voix et un chouette chorus de contrebasse. J’ai pensé aux Acrostiches [NdlR : une troupe de cirque toulousaine]. La trompette pleure et s’éteint sur des arpèges tournant de l’accordéon. Les cigales acquiescent. L’harmonisation est fine, l’effet irréel, et envoutant.

Rani, ou le second volet asiatique. La contrebasse glisse. Le morceau est lent. La dissonance est heureuse. Quand l’accordéon atteint la note la plus aigüe, que faire au bord de ce gouffre ? Tout un champ de possibles. Morceau prétexte à l’improvisation.

Dragon termine ce set et c’est la Chine (le troisième volet), mise à l’honneur de la plus belle des façons. Un morceau dynamique, très bien écrit. Sorte de réduction d’une partition pour 60 instrumentistes.

En guise de revenez-y, un choro, André a des chaussures neuves, je pense à un de mes fils et son voyage initiatique en capoeira, et Libertango, brillant.

Le trio, vous l’avez compris, joue une musique fraiche, inspirante, qui transporte.

Sur la place de Montbrun, dimanche 20 août, il clôturera de belle manière ce festival. Plus qu’intéressant de finir sur cette tonalité ouverte.

Coup de chapeau à l’équipe qui gère Jazz au Village : prouesses techniques, présence, communication, animation, voilà un fier travail.

Laurent Brun

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